Soufflez Pirates

Travail de fin d’études 2013

L’été de mes 20 ans,
gamine,
babines

« Je m’étais forgée pour le grand saut, le premier pas dans ce bout de rêve qui bouillonnait en moi depuis l’enfance – brûlant, extrêmement possessif, obsédant. Je couvais cette petite braise d’utopie au creux de mon ventre comme un précieux trésor qu’il me fallait protéger du monde en panique à l’heure où l’on nous saisissait nos rêves pour l’isolement en quarantaine. Alors que les adultes criaient tout bas des insultes dans la salle de bain pendant que les enfants dorment, je m’étais préparée au départ pour le souffle du rêve, puis ce jour est arrivé l’été de mes 20 ans … L’éclosion, l’envol, le plongeon .. . … . .. … .. . .

Cette année 2013, entre les cours à Saint-Luc, du bout du pouce et à chaque occasion possible, j’ai rejoint la piraterie. Autant de sœurs, de frères, debout portant le cœur en bandoulière et sous leur tignasse sauvage et nébuleuse, des regards éveillés et bourrés d’étoiles récoltées en chemin. J’ai plongé dans cette foule mouvante de cœurs en ébullition calés sauvagement l’un contre l’autre dans 4 convois exceptionnels de camions aménagés se faufilant entre les cordes de pluie pour glisser vers les frontières. Autant de soleils foulant le bitume.

C’était un choix urgent pour elles, eux. Quitter un pan de système pour l’horizon, elle qui semblait avoir assez de place pour les rêves rescapés, réunis. Sous leurs roues une projection de poussière semant la mer sur le goudron, comme le marchand de sable de passage sur nos toits qui égraine le sommeil au-dessus des oreillers .. .. .

J’avais l’impression de naviguer en compagnie de pirates voguant à l’abordage d’un monde qui fait naufrage. A contre courant pour agiter les vagues d’une mer qui se feint trop paisible, et portant dans sa gueule, la dictature des nageoires dorées, la guerre des égos. L’écho de mon regard me criait résistance, militance.

J’y croyais intimement. Le temps était venu de braver les tempêtes, les remous d’une matrice assassine. Coquille, craquelures qui s’échouent, instables et influentes comme des marées. Avec pour seule arme, seuls bagages, un amour suintant qui fuse de partout en ricochets. La dégaine d’équipage, puis le soleil droit devant.

En prenant le large en compagnie des pirates, du haut de mes 20 ans, j’ai pensé que tout devenait possible.

Une année de route et de déroute, d’allers et retours, de mouvements et pieds-à-terre, de doutes et tourments, d’euphorie vagabonde, d’étreintes, de chemins raccommodés dans mes géographies intérieures. D’innombrables trajets à refaire le monde, refaire la vie, à tracer sous la pluie ou dix rayons de soleil dans la gueule, à pénétrer des cœurs, me laisser envahir, submerger par ce sentiment de liberté à l’état brut, à fixer l’horizon puis bouffer de la route, me nourrir de ce qui me plaît, ce qui fait sens, ce dont j’ai faim, me vider de ce qui me pèse, ce qui fait poids, à savourer ce qui a du goût, à respirer un air qui se transpire.

Le temps d’une gestation de girafe, j’ai cheminé pour arriver jusqu’ici, ailleurs .. . ou ce que je pensais alors être le bout du monde, la pointe saillante de l’humanité. J’ai cru avoir le privilège de toucher quelque chose de brut, jusqu’à ce que qu’il s’évapore. Avec une part de naïveté, une part d’enfance peut-être .. .  Je me suis éclipsée. En bord de route, le temps d’une halte sauvage. Puis j’ai grandi. Le doute est revenu dans un galop récalcitrant. J’ai récuré le rêve. Jusqu’au scintillement de l’illusion. Dans son reflet dentelé de canines et d’éclaircies – parure, appropriation, blanchitude, communauté –  j’ai avorté. J’ai muté. »

Sarah Jane Pan

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