Travail photographique réalisé lors d’une immersion d’une semaine au centre Fédasil de Florennes
Dans le cadre de la Biennale Internationale de la Photographie – Pixels of Paradise – en 2014
Autant de visages sans refuge, fouettés par la guerre, par la fuite, par l’épreuve, autant d’hommes et de femmes nés au mauvais moment, au mauvais endroit, qui ont tout quitté dans l’espoir de renaître ailleurs.
Il règne dans les couloirs du centre Fédasil de Florennes un froid énorme, on dirait une gare où se confondent tant de passagers minés par l’attente, presqu’immobiles … où rares se font les trains, où rarement passe l’espoir … puis quand enfin il pointe le bout de son nez, il n’a jamais beaucoup de place dans son wagon.
Un lieu de passage, effectivement, chaque matin un réfugié s’en va et c’est autre qui prend sa place. Tous habitent des lieux qui ne leur appartiendront jamais même après 3 ans d’attente, ce ne sera jamais chez eux, ce sera toujours des pièces abîmées par la douleur, les histoires d’autres s’y étant réfugiés auparavant, puis vidées de toutes leurs affaires. Il n’y a que les marques sur les murs qui s’accumulent, les rêves oubliés dans l’armoire et les mémoires de ces fantômes.
Les jeunes s’échappent devant les écrans, les adultes trouvent des choses à faire dans leur chambre de fortune, tous essayent de faire passer le temps, le temps qu’il reste à attendre, comme disait Abdoul.
Si ces couloirs respirent le malaise, ils sont pourtant les carrefours de toutes ces vies fantômes, c’est là qu’elles se croisent, se mêlent, se percutent …
J’y ai rencontré quelques cafards, beaucoup de poussière, mais j’y ai surtout trouvé l’errance larguée sur le carrelage. L’errance qui mêle ces regards au désespoir planqué dans l’escalier, l’errance qui rappelle à chaque passant que leur histoire aussi n’est que passage.
D’une chambre à l’autre, je voyage entre l’Albanie, l’Afghanistan et la Guinée Conakry et entre chacune d’elles, chaque traversée de couloir, c’est comme prendre la mer vers ailleurs. Mon voyage parmi eux est sans lutte, il est doux, quelques fois brut, mais au moins moi j’ai la certitude qu’il sera sans naufrage.
J’écoute leur histoire, leur parcours, l’horreur qu’ils ont quittée au pays, celle à laquelle ils ont laissé les leurs, peut-être encore vivants, peut-être.
Tous ces passeurs de rêves anonymes sont passés par la Belgique. Ils ont existé et vécu de ce côté de la frontière, planqués entre ces murs, tout cela n’a été qu’un temps hors du temps, mais tout cela fut bien réel.
En Guinée on dit toujours« Si tu as des problèmes, n’oublie jamais Dieu, ton tour viendra, il finira par t’écouter. »
(musique bande son/
Ismael Lo – Tajabone, Bonga – Mona Ki Ngi Xica, Bai Kamara jr – Refugee,
Nina Simone – I ain’t got not, I got life, Gaël Faye – Petit Pays / )