En décembre 2017, de l’autre côté de l’océan Atlantique, des femmes issues de plusieurs Premières Nations autochtones du Canada prennent la parole lors de l’ENFADA – l’Enquête Nationale sur les Femmes Autochtones Assassinées et Disparues. Celles parmi ceux qui ont perdu successivement leur langue, leur identité, leur culture, leurs rites, survivantes de plusieurs siècles de domination et d’acculturation, se mobilisent et parlent pour la première fois publiquement des viols perpétrés envers leur peuple depuis des siècles par l’industrie coloniale et les missions évangélistes.
Cette année-là, une audience fait particulièrement de bruit, elle concerne le prêtre belge tant de fois mis en avant par le réalisateur québécois de renom Pierre Perrault. Il s’agit d’Alexis Joveneau, le frère de mon grand-père paternel décédé un an avant ma naissance en 1992… 25 ans après sa mort, celui était médiatiquement considéré comme le grand défenseur des amérindiens du Québec, est accusé d’avoir abusé sexuellement, financièrement et psychologiquement des habitant.es des réserves Innue d’Unamen Shipu et Pakuashipi auxquelles il fut affecté en tant que prêtre évangéliste pendant 39 ans.
Que fait-on de ces mythologies familiales et coloniales, religieuses et monstrueuses, qui continuent de faire ombre sur nos corps de femmes et sur le corps de celles et ceux grossièrement appelés sauvages de l’autre côté de l’océan ? De ces paroles trop de fois humiliées dans des politiques d’impunité et d’oubli ? Que fait-on de ces silences que l’on sauvegarde et qui s’enlisent toujours un peu plus loin dans les corps, dans nos intimités, dans nos ADN ? De ces héritages et cycles de répétitions pourris que l’on transmet à nos enfants ?
Gamine, je me suis laissée berner par la légende de l’explorateur de mon grand-oncle Alexis Joveneau. Aujourd’hui, à 30 ans, je ne peux plus faire semblant d’y croire. A cette époque où le mouvement #MeToo rugit aux 4 coins du monde, où la mémoire traumatique des sévices sexuels infligés dans les pensionnats autochtones est en train de resurgir au Canada en même temps que les centaines de corps d’enfants que l’on y déterre, où ma génération déboulonne dans les rues de Bruxelles les statues de Léopold II, je réalise que je suis moi aussi intimement reliée à une lignée de monstres auxquels aucun des miens ne veut s’attaquer… et que le Diable de la Côte-Nord, dont tout le monde se dédouane, n’est que la pointe d’un icerberg énorme, englouti par tant de complicités silencieuses.
Alexis Joveneau a collaboré au génocide culturel des Premières Nations. Ma famille viole les femmes, les enfants. Il faut que ça s’arrête. Descendante héritière de ce clan pédocriminel, j’appartiens à leur histoire. Cette complicité me fait responsable. Responsable de perpétuer le silence ou de rompre la fidélité au clan. C’est la parole des femmes Innues d’Unamen Shipu et Pakuashipi qui initie mon mouvement. Leur résilience me donne le courage d’affronter les questions qui m’étouffent et d’enclencher, en septembre 2022, puis en été 2023, mes deux premiers voyages vers la Basse-Côte-Nord.
TRAVAIL EN COURS
Projet documentaire
long métrage 90 min