Série photographique 2o13-2o14
L’été de mes 20 ans,
gamine,
babines
« Je m’étais forgée pour le grand saut, le premier pas dans ce bout de rêve qui bouillonnait en moi depuis l’enfance – brûlant, extrêmement possessif, obsédant. Je couvais cette petite braise d’utopie au creux de mon ventre comme un précieux trésor qu’il me fallait protéger du monde en panique à l’heure où l’on nous saisissait nos rêves pour l’isolement en quarantaine. Alors que les adultes criaient tout bas des insultes dans la salle de bain pendant que les enfants dorment, je m’étais préparée au départ pour le souffle du rêve, puis ce jour est arrivé l’été de mes 20 ans … L’éclosion, l’envol, le plongeon .. . … . .. … .. . .
J’ai rejoint la piraterie. Autant de sœurs, de frères, debout portant le cœur en bandoulière et sous leur tignasse sauvage et nébuleuse, des regards éveillés et bourrés d’étoiles récoltées en chemin. J’ai plongé dans cette foule mouvante de cœurs en ébullition calés sauvagement l’un contre l’autre dans 4 convois exceptionnels de camions aménagés se faufilant entre les cordes de pluie pour glisser vers les frontières. Autant de soleils foulant le bitume.
C’était un choix urgent. Quitter le système pour l’horizon, elle qui les rapproche du ciel avec vue sur le monde, elle qui a assez de place pour ces rêves rescapés, réunis. Sous leurs roues une projection de poussière semant la mer sur le goudron, comme le marchand de sable de passage sur nos toits qui égraine le sommeil au-dessus des oreillers .. .. . J’avais l’impression de naviguer en compagnie de pirates voguant à l’abordage du monde qui fait naufrage, avec pour seuls bagages l’amour sauvage et suant qui fuse de partout en ricochets. Toujours en vue l’esprit d’équipage, puis le soleil droit devant.
Les pirates sont partout, de plus en plus, et, où qu’ils se réveillent, elles, ils s’arment de plumes et de couleurs pour saluer le jour et agiter les vagues d’une mer qui se feint trop paisible. Dans sa gueule, la dictature des nageoires dorées, la guerre des égos.
Le temps était venu de braver les tempêtes, les remous d’une matrice assassine. Coquille, craquelures qui s’échouent, instables et influentes comme des marées.
En prenant le large en compagnie des pirates, du haut de mes 20 ans, tout devenait possible.
Une année de route et de déroute, d’allers et retours, de mouvements et pieds-à-terre, de doutes et tourments, d’euphorie vagabonde, d’étreintes, de chemins raccommodés dans mes géographies intérieures. D’innombrables trajets à refaire le monde, refaire la vie, à tracer sous la pluie ou dix rayons de soleil dans la gueule, à pénétrer des cœurs, me laisser envahir, submerger par ce sentiment de liberté à l’état brut, à fixer l’horizon puis bouffer de la route, me nourrir de ce qui me plaît, ce qui fait sens, ce dont j’ai faim, me vider de ce qui me pèse, ce qui fait poids, à savourer ce qui a du goût, à respirer un air qui se respire.
Le voyage n’est pas fini. Je m’arrête ici, entre ailleurs et nulle part, puisque c’est tellement bon de s’éclipser, en bord de route, en haltes sauvages. »
Sarah Jane Pan
L’aventure « Soufflez Pirates » ne se résume pas à ces quelques photographies, à ces quelques personnes figées dans leur liberté .. . Il est tant d’autres rencontres, tant d’autres lieux. Voici d’autres visages qui m’ont aiguillée et nourrie dans cette quête du Rêve et au travers desquels, le temps d’une gestation de girafe, j’ai cheminé pour arriver jusqu’ici/ailleurs .. . ou ce que j’ai cru être le bout du monde, la pointe de l’humanité.
Elles, ils sont toujours là, ces Pirates de la route, ces nomades vagabonds, toujours debout, toujours en vie. Tant que ces portraits seront vivants, que ces regards animeront le décor, que ces paupières battront des ailes … je continuerai de saccader sac-à-dos à la poursuite de leur convoi.
En ébruitant la rumeur, en changeant le cap, on flirtera avec la laideur du monde, on épousera la liberté.